lundi 24 janvier 2022

Entrevue avec Marie Hélène Poitras

 


Biographie

Fascinée par les liens qui existent entre musique, mots et images, par l’art de raconter des histoires et les personnages plus grands que nature, Marie Hélène Poitras invente des univers singuliers portés par une écriture foisonnante. L’écrivaine montréalaise née à Ottawa a reçu le prix Anne-Hébert pour son premier roman, Soudain le Minotaure (2002).

Son recueil de nouvelles La mort de Mignonne et autres histoires (Alto, CODA, 2017) a été finaliste au Prix des libraires du Québec. Alors que Griffintown (prix France-Québec et finaliste au prix Ringuet) lui a été inspiré par son expérience de cochère dans le Vieux-Montréal, La désidérata, publié chez Alto en 2021 s’est nourri de ses pérégrinations dans la campagne française et aborde le sujet de la violence faite aux femmes sous la forme d’une fable sensuelle et envoûtante.

Crédit : Marie Hélène Poitras - Éditions Alto (editionsalto.com)



Crédit : Charles-Olivier Michaud

Questions

Soudain le Minotaure célèbre le 20e anniversaire en 2022, est-ce qu’il y a des différences dans l’écriture de la première version et celle de la réédition ?

Oui, plusieurs. D’abord, j’ai inversé l’ordre des deux parties du diptyque. Dans la version 2022 du roman, Ariane vient en premier et ensuite Mino Torrès. C’est ainsi que j’avais conçu l’histoire au départ. Elle est plus dérangeante, peut-être aussi plus brutale dans cet ordre, mais aussi, selon moi, plus honnête et détachée de l’objectif de rassurer le lecteur. Parfois la littérature est inconfortable et déstabilisante, comme la vie.

Aussi : notre vision du monde a beaucoup changé en vingt ans ; notre regard est aujourd’hui plus sensible, nuancé et empathique. Nous sommes plus conscients aujourd’hui de l’articulation des rapports de pouvoir et de la notion de privilège. J’ai fait pas mal de changements un peu partout dans le roman dans le souci de coller davantage à ma perspective actuelle sur le monde, dans le respect des sensibilités qui se sont révélées au cours des dernières décennies.

D’autres modifications d’ordre mineur ont été effectuées pour actualiser certaines technologies désuètes qui avaient cours à l’époque, mais qui ont disparu et qui créaient des effets de glitch temporel. C’est plus fluide et moins daté dans la nouvelle version.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Les questions auxquelles les réponses apportées ne me satisfont pas et qui finissent par m’obséder ; les problèmes jamais résolus mais trop importants pour être ignorés ; les choses trop belles, les personnes trop sensibles et l’innocence des animaux.

Comment décririez-vous votre style littéraire ?

Mon éditeur le qualifie de « fleuri brutal » et je suis assez d’accord ! Mon style se transforme un peu d’un livre à l’autre pour épouser les histoires et ambiances que je crée.

La musique est présente dans votre œuvre Soudain le Minotaure, quels sont les chanteurs qui vous ont le plus marqués ?

Ça change beaucoup d’un livre à l’autre. C’est sûr que PJ Harvey reste dans mon palmarès. Elle y était déjà pour Soudain le Minotaure et elle y est encore vingt ans plus tard. Sur scène, elle est formidable et c’est un genre de « role model » pour moi de par son côté rude et étincelant, sans compromis.

Je ne me tanne pas de la voix de Nina Simone, qui pour moi porte à la fois toute la douleur du monde et son baume. J’aime la texture très riche de sa voix, son intensité et son androgynie.

En ce moment je suis dans une phase soul/RnB : Al Green, Curtis Mayfield, Dusty Springfield, Marvin Gaye, Otis Redding et ça va jusqu’à la néo-soul actuelle : Arlo Parks, Aaron Frazer, Jorja Smith, Leon Bridges, Michael Kiwanuka, etc.

Et gros coup de cœur pour le nouvel album des Louanges, Crash.

Quels défis avez-vous rencontrés lors de l’écriture de votre premier livre ?

Le défi, c’est moi-même qui me le suis donné : je me suis glissée dans la peau d’un agresseur, psychopathe épileptique et j’ai écrit son histoire au JE. J’ai fait beaucoup de recherche pour pouvoir créer ce personnage, j’ai lu énormément et me suis documentée. J’ai validé des informations avec des spécialistes. C’est à travers ce personnage horrible que j’ai découvert que j’étais une autrice de fiction dont la posture d’écriture était dirigée vers l’Autre beaucoup plus que vers moi-même, et qu’écrire répondait chez moi à un mouvement vers l’extérieur, à la volonté de me lier au monde.

Pendant votre pause, est-ce que l’écriture vous a manqué ?

J’ai travaillé beaucoup comme recherchiste en radio et en télé entre 2014 et 2020. Ce n’était pas une pause, mais c’est une période où j’avais très peu de temps et d’espace mental pour écrire de la fiction. Ce fut trop long et à la fin, j’avais l’impression d’avoir perdu mes couleurs et d’être devenue l’ombre de moi-même. Écrire est exigeant, envahissant et grisant à la fois, et demande de nombreux sacrifices. C’est toujours compliqué de trouver comment gagner sa vie à travers le temps que commande l’écriture. Il y a des périodes où la création est très présente et d’autres non – parfois ce n’est pas une mauvaise chose. Mais cet intervalle temporel de six s’est avéré beaucoup trop long pour moi effectivement.

Quels sont vos prochains projets ?

J’ai presque terminé un recueil de nouvelles – un livre dans l’esprit de La mort de Mignonne et autres histoires.

Je travaille également sur un album jeunesse illustré avec VIGG (Ma maison-tête) qui a pour thème le droit à la différence. Je vais bientôt entamer une résidence d’écrivaine à l’école primaire St-Simon-Apôtre à Montréal, avec cinq classes de 5e et 6e année (de février à avril 2022). J’ai très hâte – cela est nouveau pour moi et cette résidence se fera en parallèle avec mon projet de livre. Il sera publié aux merveilleuses éditions Fonfon, comme celui que j’ai lancé en août dernier (L’épopée de Timothée).

J’ai aussi un projet de roman graphique à un stade très embryonnaire pour le moment. Il est inspiré entre autres par mon expérience de bergère urbaine avec l’organisme Biquette. Il y aura beaucoup de petits moutons dans ce livre ;)

Lien de ma chronique Soudain le Minotaure 

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