Biographie
Fascinée par les
liens qui existent entre musique, mots et images, par l’art de raconter des
histoires et les personnages plus grands que nature, Marie Hélène
Poitras invente des univers singuliers portés par une écriture
foisonnante. L’écrivaine montréalaise née à Ottawa a reçu le prix Anne-Hébert
pour son premier roman, Soudain le
Minotaure (2002).
Son recueil de
nouvelles La mort de Mignonne et
autres histoires (Alto, CODA, 2017) a été finaliste au Prix des
libraires du Québec. Alors que Griffintown (prix
France-Québec et finaliste au prix Ringuet) lui a été inspiré par son
expérience de cochère dans le Vieux-Montréal, La désidérata, publié chez Alto en 2021 s’est nourri de ses
pérégrinations dans la campagne française et aborde le sujet de la violence
faite aux femmes sous la forme d’une fable sensuelle et envoûtante.
Crédit : Marie
Hélène Poitras - Éditions Alto (editionsalto.com)
Crédit : Charles-Olivier Michaud
Questions
Soudain le
Minotaure célèbre le 20e anniversaire en 2022, est-ce qu’il y a des
différences dans l’écriture de la première version et celle de la
réédition ?
Oui, plusieurs. D’abord, j’ai inversé l’ordre des deux parties du
diptyque. Dans la version 2022 du roman, Ariane vient en premier et ensuite
Mino Torrès. C’est ainsi que j’avais conçu l’histoire au départ. Elle est plus dérangeante,
peut-être aussi plus brutale dans cet ordre, mais aussi, selon moi, plus
honnête et détachée de l’objectif de rassurer le lecteur. Parfois la
littérature est inconfortable et déstabilisante, comme la vie.
Aussi : notre vision du monde a beaucoup changé en vingt ans ;
notre regard est aujourd’hui plus sensible, nuancé et empathique. Nous sommes
plus conscients aujourd’hui de l’articulation des rapports de pouvoir et de la
notion de privilège. J’ai fait pas mal de changements un peu partout dans le
roman dans le souci de coller davantage à ma perspective actuelle sur le monde,
dans le respect des sensibilités qui se sont révélées au cours des dernières
décennies.
D’autres modifications d’ordre mineur ont été effectuées pour actualiser
certaines technologies désuètes qui avaient cours à l’époque, mais qui ont
disparu et qui créaient des effets de glitch
temporel. C’est plus fluide et moins daté dans la nouvelle version.
Quelles sont
vos sources d’inspiration ?
Les questions auxquelles les réponses apportées ne me satisfont pas et
qui finissent par m’obséder ; les problèmes jamais résolus mais trop
importants pour être ignorés ; les choses trop belles, les personnes trop
sensibles et l’innocence des animaux.
Comment
décririez-vous votre style littéraire ?
Mon éditeur le qualifie de « fleuri brutal » et je suis assez
d’accord ! Mon style se transforme un peu d’un livre à l’autre pour
épouser les histoires et ambiances que je crée.
La musique est
présente dans votre œuvre Soudain le Minotaure, quels sont les chanteurs qui
vous ont le plus marqués ?
Ça change beaucoup d’un livre à l’autre. C’est sûr que PJ Harvey reste
dans mon palmarès. Elle y était déjà pour Soudain
le Minotaure et elle y est encore vingt ans plus tard. Sur scène, elle est
formidable et c’est un genre de « role model » pour moi de par son
côté rude et étincelant, sans compromis.
Je ne me tanne pas de la voix de Nina Simone, qui pour moi porte à la
fois toute la douleur du monde et son baume. J’aime la texture très riche de sa
voix, son intensité et son androgynie.
En ce moment je suis dans une phase soul/RnB : Al Green, Curtis Mayfield,
Dusty Springfield, Marvin Gaye, Otis Redding et ça va jusqu’à la néo-soul
actuelle : Arlo Parks, Aaron Frazer, Jorja Smith, Leon Bridges, Michael
Kiwanuka, etc.
Et gros coup de cœur
pour le nouvel album des Louanges, Crash.
Quels défis
avez-vous rencontrés lors de l’écriture de votre premier livre ?
Le défi, c’est moi-même qui me le suis donné : je me suis glissée
dans la peau d’un agresseur, psychopathe épileptique et j’ai écrit son histoire
au JE. J’ai fait beaucoup de recherche pour pouvoir créer ce personnage, j’ai
lu énormément et me suis documentée. J’ai validé des informations avec des
spécialistes. C’est à travers ce personnage horrible que j’ai découvert que
j’étais une autrice de fiction dont la posture d’écriture était dirigée vers l’Autre
beaucoup plus que vers moi-même, et qu’écrire répondait chez moi à un mouvement
vers l’extérieur, à la volonté de me lier au monde.
Pendant votre
pause, est-ce que l’écriture vous a manqué ?
J’ai travaillé beaucoup comme recherchiste en radio et en télé entre 2014
et 2020. Ce n’était pas une pause, mais c’est une période où j’avais très peu
de temps et d’espace mental pour écrire de la fiction. Ce fut trop long et à la
fin, j’avais l’impression d’avoir perdu mes couleurs et d’être devenue l’ombre
de moi-même. Écrire est exigeant, envahissant et grisant à la fois, et demande
de nombreux sacrifices. C’est toujours compliqué de trouver comment gagner sa
vie à travers le temps que commande l’écriture. Il y a des périodes où la
création est très présente et d’autres non – parfois ce n’est pas une mauvaise
chose. Mais cet intervalle temporel de six s’est avéré beaucoup trop long pour
moi effectivement.
Quels sont vos
prochains projets ?
J’ai presque terminé un recueil de nouvelles – un livre dans l’esprit de La mort de Mignonne et autres histoires.
Je travaille également sur un album jeunesse illustré avec VIGG (Ma maison-tête) qui a pour thème le
droit à la différence. Je vais bientôt entamer une résidence d’écrivaine à
l’école primaire St-Simon-Apôtre à Montréal, avec cinq classes de 5e
et 6e année (de février à avril 2022). J’ai très hâte – cela est
nouveau pour moi et cette résidence se fera en parallèle avec mon projet de
livre. Il sera publié aux merveilleuses éditions Fonfon, comme celui que j’ai
lancé en août dernier (L’épopée de
Timothée).
J’ai aussi un projet de roman graphique à un stade très embryonnaire pour
le moment. Il est inspiré entre autres par mon expérience de bergère urbaine
avec l’organisme Biquette. Il y aura beaucoup de petits moutons dans ce
livre ;)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire