Biographie
Marilou Craft vit
à Montréal où elle œuvre comme artiste, autrice, traductrice, éditrice,
conférencière et conseillère dramaturgique. Elle est actuellement membre du
comité de rédaction de la revue Estuaire et conseillère
dramaturgique associée au Centre des auteurs dramatiques (CEAD).
Questions
Qu’est-ce qui
vous a motivé à vous diriger vers la traduction ?
Dans le cadre de mon travail d’accompagnement dramaturgique et littéraire, je
réfléchis déjà à la notion de traduction, dans son sens large de translation.
Je m’intéresse à la manière d’exprimer une idée, et aux liens entre la
réception d’une œuvre et son intention. Ces réflexions teintent aussi ma
pratique artistique, et dans mes textes et mes performances, j’aime jouer avec
les perceptions pour mieux tisser des métaphores. Je cultive un regard double,
capable d’un point de vue extérieur, sans pour autant le fil de la proposition
artistique. C’est cet intérêt pour la relationalité qui m’a donné envie de
traduire des œuvres littéraires. J’ai aussi un grand amour pour les mots et
leur évolution à travers les époques et contextes socioculturels. Je travaille
à rendre l’expérience de la rencontre d’une œuvre autant que sa langue de
création.
Quels conseils
donneriez-vous à une personne qui souhaiterait traduire des œuvres
littéraires ?
Cultiver sa curiosité et son écoute, dans la lecture et au-delà. C’est un
travail sensible et vivant, en ce qu’il résiste aux formules et qu’il exige
autant d’humilité que d’inventivité. Il faut chercher hors de soi, et même
improviser lorsqu’on rencontre un terme, une locution ou un concept sans
équivalent, voire s’éloigner du verbe pour s’en approcher. Demeurer à l’écoute
de la langue et de ses usages, dans différents contextes artistiques et
culturels, nourrit le travail de traduction. C’est aussi une pratique en soi. Je
crois surtout que bien se connaître soi-même et s’adonner à ses projets
créatifs et à ses passions aide à reconnaître et nourrir sa propre voix. Cela
permet de mieux se situer dans sa relation aux œuvres et aux paroles traduites.
Quels défis
avez-vous rencontrés lorsque vous avez traduit votre première œuvre ?
Sept jours de juin est ma première traduction de roman, après une
pièce de théâtre (Ce monde-là de Hannah Moscovitch) et des textes
poétiques et essayistiques courts. C’était donc déjà tout un défi ! C’est
également une œuvre qui met de l’avant plusieurs défis rencontrés par les
personnages à travers leur vie et leur carrière littéraire, mais aussi par
moi-même dans mon propre parcours, comme le racisme, le sexisme et le
capacitisme. D’autres enjeux de minorisation se déploient à travers le récit et
le langage, comme la marginalisation du travail d’écriture d’Eva (considéré
paralittéraire puisqu’il mêle le fantastique et la romance), ou encore l’impact
des iniquités systémiques sur les liens familiaux et ancestraux. Le texte
comporte aussi des exemples de code switching, soit le fait, pour une
personne qui évolue dans des environnements où elle est racisée, d’adapter son
registre de langue pour correspondre à la norme. Puisque les personnages
principaux du roman résistent aux tentatives d’effacement, le défi m’a surtout
semblé de faire de même pour mettre en lumière cette résistance dans la langue
de traduction.
Quelle
suggestion donneriez-vous à une personne qui préfère habituellement lire les
livres dans leur version originale, car elle doute de la qualité de la
traduction ?
Je comprends cette réticence, car elle m’a moi-même motivée à me lancer en
traduction ! Il y a des traductions qui demeurent superficielles et qui
donnent envie de s’en tenir à la version originale pour avoir accès aux couches
de lectures manquantes. Par contre, lorsqu’une traduction est rigoureuse,
l’expérience de lecture s’en trouve enrichie. Une traduction enthousiasmante
peut me mener à lire ou relire l’œuvre originale, puis à revenir la traduction !
Le travail de traduction en est d’abord un de lecture, et la richesse d’un
regard a le potentiel de révéler l’œuvre à elle-même.
Lorsque vous
traduisez un livre, essayez-vous de reproduire la plume de l’auteure le plus
fidèlement possible ou tentez-vous de demeurer neutre ?
Je ne crois pas que l’objectivité soit atteignable ni même souhaitable,
dans un processus de traduction comme dans la vie en général. Une œuvre
littéraire ne peut être véritablement neutre, puisqu’elle témoigne nécessairement
d’un certain point de vue sur le monde. Sept jours de juin dépeint le
quotidien de deux écrivain·es états-unien·nes noir·es, à deux moments clés de l’Histoire,
de leur relation et de leur parcours. Certains chapitres du récit brossent le
portrait de leur adolescence dans un contexte familial et socioéconomique
difficile, alors que d’autres illustrent leur vie adulte, marquée par le succès
professionnel et par l’évolution de leur rapport aux plus jeunes générations. La
plume de l’autrice traduit chacune de ces réalités, et j’ai voulu transposer cet
effet dans la langue de traduction. J’ai donc localisé la langue dans la
métropole montréalaise et opté pour une oralité marquée par une certaine
créolisation, comme on peut la retrouver dans le langage courant local. Ces
choix m’ont menée à proposer à l’autrice l’ajout d’une note de la traductrice
et d’un glossaire, dans ma version traduite. Ces propositions découlent du
processus de traduction en lui-même, et me sont apparus comme une façon de
transposer l’expérience de lecture autant que la langue et son propos.
Quels sont vos
prochains projets ?
J’ai envie de plonger plus loin
dans la création, que ce soit en solo et en collaboration avec d’autres
artistes. Au printemps, je poursuivrai la recherche-création d’un projet amorcé
cette année avec les artistes multidisciplinaires Jo Fong, Sonia Hughes et
Alexandra ‘Spicey’ Landé, en partenariat avec La Serre – arts vivants et
Chapter (Royaume-Uni). Je serai également à Rimouski avec Chloé Savoie-Bernard
pour développer notre performance littéraire Décommander, en
collaboration avec le centre d’artistes Caravansérail et son événement
TENDRESSE! 2025. Je serai également conseillère dramaturgiques invitée au
festival d’arts vivants PuSh, à Vancouver, en plus de travailler aux prochains
numéros de la revue de poésie Estuaire, dont je suis membre du comité de
rédaction. Et j’ai déjà hâte à mes prochaines traductions!
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